2007 - Label Ouïe
Pyromanes
David Chevallier guitares
Yves Robert trombone
Michel Massot tuba
Denis Charolles batterie objets clairon
enregistré au studio guimick par Jacques Laville
mixé par David Chevallier
Fils de Christian Chevallier, jazzman émérite et arrangeur pour Pathé Marconi de la plupart des grandes stars de la chanson des années 60 (Trenet, Aznavour, Nougaro), le petit David ne s'est pas posé très longtemps la question de sa vocation. À la guitare classique dés l'âge de 7 ans, il s'émancipe à l'adolescence en découvrant d'un coup les principaux guitaristes du label ECM, de John Abercrombie à Ralph Towner en passant par Pat Metheny. « Towner m'a ouvert des perspectives totalement neuves concernant l'usage de la guitare classique. Mais c'est Metheny, par son jeu très mélodique et cette façon de proposer une virtuosité alternative à la pure vélocité jazz-rock, qui dés cette époque m'impressionne le plus. » Il s'éprend de la guitare électrique, et totalement sous influence commence de façon empirique et autodidacte à composer des enchaînements d'accords et à s'essayer à l'improvisation. Il monte son premier groupe en 1986 avec des copains de lycée (parmi lesquels François Merville) et ne se consacre plus dés lors qu'à la musique. Toujours sous l'emprise du son ECM (d'Oregon au trio Gateway d'Abercrombie), David Chevallier cherche sa voix. C'est Laurent Dehors qui au tournant des années 90 l'incite à rompre avec ses codes et références en l'intégrant à son trio et au groupe Tous Dehors. L'effet sur son jeu de guitare est immédiat. Il enregistre un premier disque en leader en 1992 ("Migration" avec Daniel Humair à la batterie et Yves Robert au trombone) mais c'est avec l'album suivant, "Noisy Business" paru en 1997, que s'affirment les prémices d'une nouvelle manière, plus anguleuse, austère et cérébrale, marquée par l'influence conjointe de l'anti-lyrisme de Dehors et de la sophistication formelle d'un autre guitariste majeur, Marc Ducret.
Entre maturité et érudition
Fin 1999, Chevallier fonde avec Pyromanes son premier groupe vraiment personnel (avec Yves Robert, Michel Massot au tuba et Denis Charolles à la batterie) et en fait le noyau dur d'un ambitieux projet autour des nouvelles de Dino Buzzatti, mettant en scène un comédien et un ensemble de dix musiciens. Créé en 2001 dans le cadre du festival de la Villette, ce spectacle est pour Chevallier « le vrai tournant esthétique » de sa jeune carrière. Il fonde dans la foulée sa propre compagnie musicale, SonArt, et multiplie alors les projets thématiques parmi lesquels "The Rest is Silence", suite de "chansons" interprétées par Elise Caron et composées à partir de poèmes de Cesare Pavese. « J'avais envie non seulement de retravailler sur du texte mais pour la première fois de me confronter au chant - chose qui jusqu'alors ne m'avait pas du tout intéressé. Et puis j'avais aussi le désir de faire évoluer ma palette orchestrale en allant fureter du côté des "classiques" du 20e siécle (Stravinsky, Bartók, Dutilleux) et j'ai aggloméré au quartette Pyromanes un ensemble de musique de chambre de 9 musiciens. Ç'a été un gros travail de composition au croisement de tout un tas de genres. La première fois où j'ai eu le sentiment de trouver un langage faisant la synthèse de ce que je suis réellement. » Aujourd'hui David Chevallier semble avoir définitivement trouvé sa voie en s'engageant résolument dans ces hybridations entre univers contemporain, musique improvisée, chanson, art vocal et jazz moderne ... Tout aussi éloignée des techniques de collage post-modernes que d'une esthétique fusionnelle gommant les différences, sa musique travaille à ce que « les choses se fondent pour créer des formes qui n'existaient pas au départ mais en cherchant à ce que les éléments qui les constituent restent constamment lisibles. » Son dernier projet en date est à ce titre parfaitement emblématique qui, de la friction entre un petit groupe relevant de la musique de chambre improvisée (Da Camera) et un quintette vocal de haut vol (l'ensemble A Sei Voci), fait naître la matière inédite et parfaitement inclassable d'une rêverie aussi précieuse que périlleuse autour des audaces harmoniques de quelques madrigaux tardifs du grand compositeur italien du tournant du 17e siècle Carlo Gesualdo. Si cette plongée au cœur de la musique de la Renaissance semble lui avoir donné l'envie de prolonger l'aventure sous d'autres latitudes (se dessine un projet en trio avec soprano et théorbe autour du répertoire mélancolique de John Dowland), David Chevallier n'en reste pas moins un musicien de son temps, parfaitement en phase avec les grands enjeux esthétiques de la modernité. Et il suffit de jeter une oreille à sa relecture joyeusement "dé-constructiviste" d'une poignée de standards de la pop anglo-saxonne de ces trente dernières ("Is That Pop Music ?") pour saisir tout ce que ce guitariste érudit, arrivé à maturité, peut apporter dans un avenir proche au jazz européen.
Stéphane Ollivier